ECHO DE ST-PIERRE N° 3, Avril 1988
LA VALLEE DES LAVOIRS (I)
Connaissez-vous la vallée la plus propre de St Pierre ? Vous l'avez
peut-être deviné, c'était autrefois la vallée des Quatre-Pompes,
appelée aussi vallée de Ste Brigitte, qui serpentait du bourg de St
Pierre jusqu'à la grève des Quatre-Pompes, promenade privilégiée entre
toutes.
Les lavoirs? Ils n'étaient pas moins de treize, sans compter celui
du bourg de St Pierre, qui se répartissaient ainsi tout au long de la
vallée, offrant leurs eaux limpides aux blanchisseuses, dont certaines
d'ailleurs en retiraient leur activité principale, peu lucrative il est
vrai... Tout d'abord, voici celui de Ste Brigitte, accolé à la fontaine
du même nom, vestige du site où se trouvait, à deux cents mètres du
bourg, l'antique chapelle, malheureusement démolie en 1924 et dont une
statue rescapée, Ste Brigitte, a été replacée par la suite à droite du
portail principal de l'église de St Pierre...
Mais revenons à nos lavoirs : de Ste Brigitte et de sa verdoyante
prairie, dans le gazouillis des ruisseaux, nous arrivions au lavoir du Barullu-Huella
dont je vous parlerai tout à l'heure, ayant intensément vécu une page
de son histoire; face à lui, ou presque, de l'autre côté de la prairie,
un petit lavoir plus récent. Plus bas, à droite de la route, deux
autres petits lavoirs, puis à gauche, dormant sous les grands
peupliers, celui de Pouléder, puis plus bas celui du Barullu-Izella, de la Belle Fontaine, havre de tranquillité, de Kerdidreun, de Kerdalaes.
Le Village de la Salette quant à lui avec ses trois lavoirs, détenait
la palme de la propreté. Je ne me hasarderai pas à situer les
frontières de Kerdalaes et de la Salette, sachez néanmoins qu'il y
avait quatre lavoirs pour une dizaine ou une douzaine de foyers.
Vous voyez donc que, dans cette vallée, nous n'avions pas beaucoup
d'excuses pour arborer des vêtements sales. Quant à moi, j'avais eu la
chance de naître au Barullu du haut, appelé d'ailleurs Barullu tout
court, bande de maisons qui s'égrenaient de l'embranchement du chemin
de Ste-Anne jusqu'à quelques trois cents mètres plus bas.
Dans cette vallée nous avions tout pour être heureux, la route en pente
pour faire dévaler nos caisses roulantes, les talus pour les retenir,
les arbres pour nous ombrager et le doux bruit de l'eau du ruisseau qui
nous menait dans les environs du lavoir et c'est là que je voulais vous
conduire quelques instants...
A qui appartenait-il ce lavoir ? quelqu'un l'a-t il su un jour ? Les
gens du Barullu prétendaient qu'étant sur leur territoire c'était à
eux... logique non ? pas si simple, ceux de Kernabat prétendaient pour
leur part que c'était là l'oeuvre de leurs pères, d'ailleurs l'eau de
la fontaine ne venait-elle pas de Kernabat? Non! répondait unanime le
Barullu, cette eau vient de Porsmeur (même filon que la fontaine Ste
Brigitte). Mais, doté de fortes voix, Kernabat répétait de plus belle,
"c'est à nous". Non plus répondait alors une simple voix, une riveraine
du haut de la rue des Quatre Pompes, c'est à moi, j'en ai les papiers.
Qu'à cela ne tienne, montre les donc, disaient les autres, soudain
alliés. Je les chercherai disait-elle... Mais force était de constater
que ces recherches étaient tellement laborieuses qu'à ma connaissance
elles ne connurent jamais d'épilogue heureux et notre lavoir attendait
toujours patiemment entouré de ses pierres basculantes, provoquant
parfois d'ailleurs quelques bains forcés, assez rares d'ailleurs, car
nos dames, les laveuses, étaient sur leurs gardes et avaient , en tant
que femmes de marins, une certaine notion du roulis. Mais à qui était
donc ce lavoir? Certains autres, plus neutres, plus pragmatiques et
moins passionnés disaient, prudemment, que c'était municipal. Nouvelle
révolution, que la mairie fasse donc le nécessaire que diable... Mais
les ruisseaux continuaient à gazouiller et le vieux lavoir continuait à
écouler des jours et des jours, de l'eau et de l'eau. Tapi au creux de
la vallée, dans son écrin d'herbe rase, de sa belle fontaine à l'eau si
fraîche en été, de son coin à lessiveuses qui communiquaient
régulièrement le feu aux broussailles environnantes. Tapi, notre lavoir
sans s'émouvoir, attendait toujours, souriant de l'émoi qu'il
soulevait...
à suivre
ECHO DE ST-PIERRE N° 4, Mai 1988
LA VALLEE DES LAVOIRS (II)
Le point fort de la semaine, dans l'animation de ce lavoir, se
situait le samedi vers cinq heures. Plus le droit de laver à cette
heure là. De Kernabat, par les escaliers du "Lapin Blanc" et dans les
effluves de ce haut lieu, descendaient les blanchisseuses, armées cette
fois de balais de genêt et de bouleau, signalant leur passage par force
cris et entraînant celles du Barullu, décidément plus dociles et moins
motivées.
Et puis, ça y était, l'effectif devait être là a u grand complet, sinon
c'était des appels déterminants pour celles qui, se tapissant chez
elles, auraient préféré une autre tâche. Le rassemblement est fait, le
balai le plus propre, ou le plus adroit, nettoie déjà la fontaine après
que les derniers brocs et seaux soient remplis. Une anguille s'y
promène quelquefois mais à l'occasion se réfugie dans le creux de la
source... Notre lavoir, revenons à lui, est prêt pour l'opération, plus
de tardives blanchisseuses, l'heure est à présent à la toilette.
Soigneusement, en les rangeant sur le bord, on enlève pierres et mottes
mais, le flot blanchâtre s'évacue prestement. Auparavant, les balais
avaient transformé en océan furieux les eaux paisibles et chacun y met
du sien, c'est une affaire de prestige, remplissant au besoin, cela va
de soi, ses sabots. Pas de bottes en ce temps-là, de solides sabots de
bois venant du bourg (le magasin existe encore). Voilà le fond,
redoublement d'énergie. Le flot humain s'engage directement dans le
lavoir reprenant l'assaut des eaux rebelles. Quelquefois une anguille
se montre dans ce combat inégal. Elle est vite capturée pour aller
garnir une table pas trop difficile.
Non, paraît~l qu'elle n'a pas le goût de savon. Voilà maintenant
l'opération terre glaise pour extraire du fond, à un endroit bien
précis, le précieux matériau qui ira réparer quelque foyer, ou
cuisinière, défaillant.
Dernier coup de balai, l'alliance Barullu-Kernabat s'est révélée
efficace. Les belligérants ont déposé les armes au milieu des rires. et
des plaisanteries. Le petit gars que j'ai cru reconnaître
tout-à-l'heure a aussi déposé son balai pour boucher le lavoir, l'eau
s'élève rapidement, limpide.
Les garnements, j'en suis, font aussi partie du paysage. Ils exultent
intérieurement. Demain c'est dimanche, qu'il fera bon, après la messe
de 8h 1/2 venir sournoisement, quand tout sera calmé, essayer les
bateaux, voiliers, sous-marins et autres... Le soir ils reviendront de
nouveau pour marquer d'un linge mouillé (à cause du vent) affirmé d'une
pierre plate, la place réservée, toujours la même, de leur maman, car
le lundi c'est le grand jour de la lessive où les conversations vont
bon train, où les rires et les cris fusent. C'est pourquoi au bruit des
battoirs qui résonnent dans toute la vallée des Quatre Pompes, je vous
le disais bien tout à l'heure, c'est la vallée la plus propre de St
Pierre.
Les années ont passé, l'eau a continué à couler. Le lavoir déjà
branlant a reçu un coup fatal, une bombe lors des combats de 1944...
Quelques blanchisseuses avaient pu, néanmoins, se faire réaménager une
place qu'il n'était plus nécessaire de garder. Elles se sont faites
plus rares, puis ont disparu. Le lavoir à son tour. A qui était il ?
nous le dira-t-il jamais?
à suivre
F. KERGONOU.
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ECHO DE ST-PIERRE N° 11, Décembre 1988
LA VALLEE DES LAVOIRS (III)
Voici grâce à Michel Floch un papier des archives municipales du 27
Février 1859 dans lequel Guillaume Laziou et Jean-François Jestin de
Kernabat, présentent le titre de propriété de ce lavoir. La commune en
effet voulait établir un droit de lavage de 5 centimes pour la journée,
2 centimes si le lavage durait moins de quatre heures; ceci pour
l'ensemble des quatre lavoirs municipaux parmi lesquels figurait celui
du Barullu, à tort semble-t-il car nos deux comparses arborant l'acte
de propriété faisaient observer que "le lavoir sert depuis un temps
immémorial aux besoins de la commune sans avoir jamais été tenu de
payer de rétribution à qui que ce soit"...Cette situation ne devait pas
évoluer par la suite et le lavoir n'en a guère bénéficié quant à son
entretien...
Dans mon empressement j'avais omis de vous dire qu'au beau temps s'y
tenait la fête des blanchisseuses. Un bouquet trônait sur le tablier de
la fontaine tout à côté d'une assiette garnie -préalablement sans
doute- de pièces de monnaie pour inciter les donateurs éventuels à la
générosité. C'étaient aussi quelques chansons, mais au lavoir du bourg
, en ce jour de réjouissances, les festivités étaient bien plus
poussées. Lés blanchisseuses partaient pour la journée en promenade au
Dellec et au retour, nos dames organisaient des rondes sur la place de
Saint-Pierre.
Le lavoir était vraiment le centre de vie du quartier, l'activité y
était intense. Pour celui du Barullu, dès le dimanche soir les places
étaient gardées par un linge, chacune "avait sa pierre" et tenait à le
faire savoir chaque semaine, car dès le lundi, de bonne heure, le linge
arrivait soit en lourd paquet sur le dos ou même en voiture à cheval,
venant de Brest,avec les draps et les serviettes de l'hôtellerie...
C'était un rude, très rude travail que celui de blanchisseuse... Certes
les conversations allaient bon train, mais il fallait taire bouillir ce
linge, le mettre à tremper; à ce propos, la proximité de la fontaine
était le meilleur endroit, la meilleure place pour une de ces
blanchisseuse professionnelle que j'ai bien connue. II fallait aussi le
mettre à égoutter et l'étendre sur ces espaces verts qui entouraient le
lavoir et où chacune détenait une priorité morale. L'étendage allait
assez bas vers la vallée, quelquefois tout au pied du talus bordant la
prairie, le talus où se trouvaient des ciguës et quelquefois
des...vipères.
La fontaine du Barullu était considérée comme la meilleure source de
Saint-Pierre, un docteur l'avait affirmé, analyse oblige. Le filon
partait bien loin sous la fontaine et c'était le refuge d'une grosse
anguille réputée insaisissable et qu'on disait grosse comme le poignet
d'un enfant. Je l'ai également vue mais je ne saurais jurer de sa
grosseur. Cette fontaine, personne n'avait jamais réussi à la vider,son
eau était très appréciée et chacun, de bien loin, venait s'y
approvisionner en espérant que les brocs qui y plongeaient avaient
aussi la même pureté. Cette eau toute fumeuse en hiver était très
fraîche en été et chacun y trouvait verre ou timbale à sa
disposition... Quand il faisait très froid il était préférable
toutefois de se laisser inviter dans le couloir de la maison attenant
au lavoir, pour y boire un bon café chaud. Cette maison était une
petite ferme, une crèche accolée abritait une ou deux vaches. Devant
cette crèche, à même la route, s'effectuait au fléau le battage du blé.
A part les piétons,aucun véhicule ou presque, n'y passait en ce
temps-Ià. Les vaches étaient aussi liées à la vie quotidienne, l'une
d'elles a vécu neuf ans dans cette étable, donnant le jour à quelques
veaux, elle venait régulièrement du champs pour abreuver sa
progéniture. Ne dit-on pas d'ailleurs que ces animaux ne dorment pas la
nuit de Noël et qu'ils sont marqués par la nativité. Allez la voir
notre bonne vache, elle est là debout,elle ne dort pas, elle attend
l'événement et c'est pourquoi le patron au retour de la messe de minuit
lui apportera deux "boutok" de betteraves coupées.
Mais nous voici un peu éloignés du lavoir, pas trop cependant, c'était
de l'autre côté de la route, tout à côté de cet arbre d'aubépine couché
sur le ruisseau. A ses pieds, les lessiveuses, attention!... ne vous y
brûlez pas! Le remède souverain était alors, le saviez-vous,d'y étendre
généreusement de la bouse de vache pour que tout rentre dans l'ordre.
F. KERGONOU