ECHO DE ST-PIERRE N° 104 Septembre 1998

Raymond Canevet, enfant de la guerre

Brest, 17 juin 1940. Les troupes allemandes sont aux portes de la ville. Les écoles étant fermées, Raymond Canevet, insouciant des événements, s’amuse avec ses copains yannicks parmi les tanks, automitrailleuses et autres véhicules abandonnés par les Anglais dur les quais du port de commerce.
Les boches arrivent, on part pour l’Angleterre...
Les sirènes mugissent. L’alerte ! Les gamins trouvent refuge dans un tank. Les avions ennemis bombardent les Quatre Pompes. Là se trouve, amarré, le Mirage, une gabare de la D.P. chargée d’approvisionner les navires militaires en eau. Aux commandes, Jean Canevet, le père de Raymond. Pour lui, pas question de capituler : les Allemands n’auront ni sa famille, ni son bateau. En rentrant chez lui ce soir-là, il annonce à sa femme : “C’est décidé... Les boches arrivent, on part en Angleterre.” On , c’est-à-dire quatre hommes d’équipage et la famille : Raymond, 11 ans, sa mère Augustine, son grand frère Pierre, 16 ans, et la petite soeur Annick.
Il fait déjà nuit lorsque tout ce petit monde embarque à bord du Mirage. Ravitaillement effectué en charbon et provisions, la gabare franchit le goulet aux premières heures du 18 juin, avant que les cuves à mazout du Cruguel ne sautent : ils ne sont pas seuls à résister.
Jean Canevet décide de contourner Ouessant pour échapper aux mines. Vingt-quatre heures plus tard, ils atteignent Falmouth, en Cornouailles anglaise. Quelle traversée ; pour une grande première, Raymond se souvient surtout de son mal de mer...

“Do you speak English ?”
Après quelques jours passés dans un camp de réfugiés, la famille Canevet séjourne à Londres, sans le père qui reste à bord du Mirage pour ravitailler les navires de guerre.
La capitale britannique n’est pas vraiment le lieu d’une enfance dorée. Alertes et bombardements se succèdent. Le blitz fait de nombreuses victimes. Malgré tout, la vie continue. Raymond se retrouve à l’école. Les débuts sont difficiles quand on ne connaît pas la langue. L’Anglais, il l’apprendra surtout avec les gamins, dans la rue.

Au gré des affectations du Mirage
Six mois plus tard, les Canevet sont à nouveau réunis à Falmouth, et heureusement : quelques heures après leur départ de Londres, une bombe anéantit la maison du couple d’Anglais qui les hébergeait...
De fait, Raymond et sa famille ne s’installeront jamais véritablement. Durant toutes ces années de guerre, ils suivront le Mirage au gré de ses affectations : Falmouth, Hollyhead, Porsmouth...
Le 2 Juin 1944, peu de temps avant le débarquement en Normandie, Raymond, qui va sur ses 15 ans, embarque avec son père. Disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la gabare doit poursuivre la ravitaillement : pour les plus gros navires, c’est parfois 200 tonnes d’eau en une seule fois.
Mission accomplie, c’est le retour à Brest, le 27 Juin 1945. Parti depuis cinq ans, le jeune homme qu’il est devenu ne reconnaît plus sa ville. Tout est dévasté. Du domicile rue Armorique, il ne reste plus rien.
La paix retrouvée, Raymond sera marin de commerce : la mer, il connaît... Aujourd’hui, il porte-drapeau des F.F.L. et profite de sa retraite, rue Emile Faguet, après une vie bien mouvementée.
A son père, “Captain Canevet” et à sa famille, la Ville a dédié une rue dans le quartier de Coat-Tan.
Jean POCHART.