Echo de St-Pierre n°110, Mars 1999.

CARLET DE LA ROZIERE L'ENIGMATIQUE


B
rest, ville fortifiée, ne conserve bien souvent de son passé que le souvenir de Vauban. Le temps et l'oubli ayant semble-t-il effacé de notre mémoire d'autres personnages non moins illustres. Comme le sieur de Sainte Colombe, ingénieur du roi, qui conçu les plans des remparts entourant Brest. Ou plus proche de nous, Quilbignonnais .... un certain Carlet de la Rozière qui fit construire, sur notre terroir, selon une nouvelle stratégie militaire, les fortifications du Portzic, de Montbarey, de Keranroux, du Questel Bras et de Penfeld.
L
ouis-François Carlet de la Rozière fut une énigme pour la plupart de ses contemporains. Ce brillant officier, diplômé de la prestigieuse école de Génie militaire de Mézières, qui s'honore d'avoir accueilli également Lazare Carnot et Gaspard Monge, fut durant de nombreuses années l'homme de confiance de l'état. Sa vie aventureuse le mena aux Indes et à l'île de France (île Maurice) où il élabora un plan de défense à partir de quelques relevés topographiques.
Il travailla quelques temps pour la compagnie des Indes. Durant la guerre de sept ans, il fut affecté à l'état major du maréchal Victor-François de Broglie qui remarqua ses talents de stratège. Après cette guerre aux conséquences désastreuses il est intégré au cabinet secret de LouisXV, que dirige directement sous les ordres du roi, le comte Charles François de Broglie, le frère du maréchal. Sous couvert du secret, Carlet de la Rozière effectua plusieurs missions délicates, comme celle d'étudier en Angleterre les possibilités d'un éventuel débarquement des troupes françaises.
Dans la discrétion que caractérise une pareille entreprise, il se rendit en 1763 en Angleterre où sa tâche fut facilitée par l'aide que lui apporta un attaché de l'ambassade de Londres, un certain Charles d'Eon de Beaumont, lui même agent du service secret. Cet agent n'était autre que l'extravagant et mystérieux chevalier d'Eon qui suscita tant de controverses. Sans se faire repérer Carlet de la Rozière réussira parfaitement sa mission, et reviendra en France avec de nombreux croquis et relevés des côtes anglaises comprises notamment entre les comtés du Sussex et du Kent. Mais les meilleurs plans d'invasion s'avéreront inutiles si la capacité de la marine royale à débarquer 60000 hommes en Angleterre se démontre insuffisante.
En 1765 Carlet de la Rozière reçoit pour mission d'évaluer l'importance de nos forces maritimes de Dunkerque à Saint-Jean-de Luz. Il est chargé d'apprécier l'état des navires en service, les effectifs de marins disponibles et de faire l'inventaire des équipements divers. Son rapport au comte Charles François de Broglie sera nuancé, s'il convient que l'effort de construction de nouveaux vaisseaux entrepris par Choiseul, alors ministre de la marine est satisfaisant, il constate que le moral des matelots et des ouvriers des arsenaux qui ne sont pas payés depuis plusieurs mois est déplorable, de plus faute d'approvisionnement les magasins sont vides.
En 1768 il entreprend une nouvelle mission, celle d'apprécier la capacité défensive de nos côtes et de nos ports, face à une éventuelle attaque ennemie, et de faire le cas échéant les suggestions indispensables. Carlet de la Rozière considère le port de Brest insuffisamment protégé en considération des progrès de l'artillerie adverse et d'une possibilité d'attaque à revers de nos propres défenses.
Sa stratégie ne plaît pas à Dajot, qui s'en plaint; mais de la Rozière fort de ses connaissances et de l'expérience acquises en espionnant les défenses anglaises maintient fermement ses positions. De plus il a des appuis solides à la cour qui lui permettent de passer outre aux remarques qu'il juge injustifiées. Charles Gravier, comte de Vergennes, futur ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, n'est-il pas membre lui-même du Secret auquel appartient Carlet de la Rozière. Au même titre d'ailleurs que le futur général Charles-François Dumouriez, avec lequel il effectua une inspection, visant à la recherche d'un site dans les environs de Cherbourg, susceptible d'y installer un port militaire, face à l' Angleterre.
En 1776 le nouveau commandant de Bretagne, le marquis de Langeron adoptera définitivement la stratégie de Carlet de la Rozière en matière de fortifications et avec l'aval de LouisXVI mettra en oeuvre la construction des forts. La révolution ne reconnaissant pas ses mérites, il dût s'exiler. Il mourut au Portugal à l' âge de 75 ans.
Espérons qu'avant 2008 (200ème anniversaire de sa mort), une rue de Saint Pierre, dans un nouveau lotissement proche des forts, puisse porter le nom de cet inconnu célèbre.


Michel Baron