ECHO DE SAINT-PIERRE N° 138 - décembre 2001

 

La révolution usurpée

    Dès 1791/92, la Révolution souleva dans le Léon, plus de crainte et de méfiance que 1789 n'avait suscité d'espérance et d'enthousiasme. Les diverses réquisitions, la mise en place de la nouvelle constitution civile du clergé, la suppression de 4 évêchés bretons sur les 9 existanes, la dépréciation de l'assignat et surtout la levée de 300 000 nouveaux conscrits, de 19 à 40 ans, furent les éléments objectifs et détonateurs du mécontentement quasi général  qui se manifesta notamment dans les campagnes. Seules les villes, comme Brest, affirmaient encore un soutien inconditionnel aux idéaux usurpés de la Révolution, affichant au  passage un patriotisme aussi virulent qu'excessif.. A Saint-Pierre Quilbignon la situation était tendue mais gérable grâce à l'habilité de la toute nouvelle municipalité qui cherchait surtout, à éviter les conflits plutôt qu'à les créer. Car la nouvelle organisation territoriale avait permis à Saint-Pierre Quilbignon se proclamait commune en 1790. La première municipalité fut installée le 11 juillet 1790 et Jean Péron, cultivateur aisé, fut élu maire, tandis que Guillaume Scouarnec n'était plus que le précaire recteur d'une paroisse déchue de ses prérogatives. Le règlement électoral favorable aux riches excluait, à Brest notemment, les ouvriers du scrutin et laissait à quelques centaines de citoyens aisés l'initiative d'élire leurs représentants (maires et députés) parmi l'élite franc-maçonne notamment.

    Mais à Plouzané et à Gouesnou la tension montait jusqu'à l'effervescence et à Plabennec la rébellion s'affichait ouvertement. En mars 1793 la région de Saint-Pol-de-Léon se souleva pour empêcher le tirage au sort de nouveaux conscrits. Ce tirage au sort était injuste car il épargnait les gardes nationaux bourgeois et leurs représentants qui furent par l'acquisition massive des biens nationaux les profiteurs de la Révolution. A Brest le commandement de la garde nationale était assuré par un certain Jean-Yves-Philibert Daniel du Colohé, riche négociant, ancien capitaine d'infanterie des garde-côtes, membre du Conseil Général et vénérable de la loge maçonnique de l'Heureuse Rencontre. Il était pour l'anecdote le neveu de Jean-Baptiste Daniel, recteur de Saint-Pierre Quilbignon, prédécesseur de l'infortuné et insermenté Guillaume Scouarnec.

    La bourgeoisie des villes, issue du négoce, de l'armement naval, ou relevant de fonctions libérales, devait pour survivre politiquement se garder à droite de tout retour à l'ancien Régime et à gauche éviter d'être débordée par une aspiration populaire réclamant plus de démocratie. C'est cette impitoyable logique du pouvoir qui rendit si sanglante la Révolution Française et si incompris le combat pour une réelle démocratie. Dans cette anarchie le lit de la Terreur se trouvait conforté par quelques ultras qui tirent de la guillotine leur arme redoutable, dissuasive et exemplaire.

    Ce chaos politique et social fut propice à toutes les formes de courage ou de lâcheté, divisant les familles, générant amertume et rancœur, réduisant les bonnes volontés à la priorité de survivre et les ambitieux à la cupidité de, s'enrichir. Au sein d une même famille Branellec, originaire de Saint-Frégant, la Révolution fit naître la division entre deux frères prêtres. L'aîné, Jean Branellec, sera jureur et deviendra curé constitutionnel de Plourin, puis de Saint-Frégant. L'autre, le cadet, Jean-Marie Branellec, prêtre réfractaire. sera guillotiné à Brest le 17 avril 1794 à l'âge de 37 ans. Ainsi, en 1794, au plus fort de la terreur, le bourreau Ance dit le Vengeur exerça ses talents de guillotineur sur la place du château à Brest, baptisée place de la terreur du Peuple, en faisant tomber plusieurs dizaines de têtes parmi les ennemis réels ou supposés de la République. Après la chute de Robespierre la guillotine continua de fonctionner ; ses dernières victimes furent : Tanguy Jacob, vicaire de Saint-Pabu, Claude Chapalain, prêtre, originaire de Plouguin et Marie Chapalain, sœur de ce dernier. Aujourd'hui pour l'anecdote, un arrière petit neveu de l'infortuné Tanguy Jacob exerce à Saint-Pierre son ministère de prêtre.

    Le concordat de 1801 se voulait réconciliateur, en assimilant au sein d'une même Eglise rénovée, les jureurs et les insermentés. Guillaume Scouarnec, le courageux insermenté de Saint-Pierre-Quilbignon sera nommé en 1804 curé de Ploudiry, en remplacement de Tanguy Mocaër curé constitutionnel nommé à Guipronvel. Mais la municipalité de Ploudiry influencée par les riches familles de Juloded (marchands de toiles) refusera de se séparer de son prêtre jureur et mènera la vie impossible au pauvre Guillaume Scouarnec qui décèdera en 1806 dans l'indifférence générale.

Les dernières paroles de madame Rolland, montant sur l'échafaud à Paris, résonneront encore longtemps comme un avertissement à exécrer l'injustice : «Liberté, que de crimes ne commet-on pas en ton nom

M.Baron