ECHO DE SAINT-PIERRE N° 144 - juin  2002

 

Les aléas de la guerre de 70

La guerre de 1870 a eu pour la marine de Brest des conséquences inattendues

Lors de la guerre de 1870, contre la Prusse, la Marine française, pourtant opérationnelle, fut inopérante. Faute de décisions rapides et de stratégie précise, sa non intervention fut un élément qui précipita la défaite des troupes françaises. En effet Napoléon III avait pris la décision de privilégier les opérations terrestres au détriment des interventions maritimes. Ainsi les régiments d’infanterie de marine de Brest qui devaient initialement embarquer pour la Baltique, furent engagés pour la défense de Sedan et les équipages de ligne reçurent l’ordre de défendre Paris. Le 2 septembre 1870, la capitulation de Sedan entraîna la chute du second Empire et la mise en place à Paris d’un gouvernement provisoire de Défense Nationale, dans lequel figurait notamment Émile de Kérartry, député de Brest et le général Le Flô, originaire de Lesneven.

 

Le 22 octobre 1870, Léon Gambetta ordonna à Kérartry de lever une armée en Bretagne, pour renforcer les armées stationnées au sud de Paris. De fin octobre à fin décembre, 80000 bretons furent parqués dans la boue, au camp de Conlie, près du Mans. Sans armes, dans des conditions hygiéniques déplorables, mal vêtus, mal nourris, ils furent abandonnés à leur triste sort. Des brestois étaient du nombre. Le gouvernement provisoire avait semble-t-il aussi peur de ces « chouans » de bretons que des prussiens. La levée de 1793, qui fut si contestée dans le Léon, avait généré une méfiance exagérée concernant la fidélité des bretons. (Les 200000 bretons, morts durant la guerre 14/18, vinrent hélas prouver le contraire, quelques décennies plus tard.)

 

Cette méfiance des gouvernants à l’égard du peuple devait également se concrétiser lors de la prise de pouvoir de Paris par ses habitants, qui souhaitaient s’approprier la gestion de leurs affaires publiques. Cette tentative connue sous le nom de Commune de Paris dura du 18 mars au 27 mai 1871 et fut réprimée dans le sang par la troupe française, commandée par le général Gallifet, aux ordres d’Adolphe Thiers. Gaston de Gallifet obtint là une victoire éclatante qui lui fit défaut à Sedan quelques mois plus tôt.

 

Dans le Finistère, la tentative d’établir la Commune de Brest, se solda par un échec sans autre conséquence que l’emprisonnement de son instigateur : Constant Le Doré et celui de quelques dizaines de ses compagnons, travaillant pour la plupart comme lui à l’arsenal. Mais paradoxalement l’échec de la Commune de Paris, contribua à relancer l’activité de la Marine, notamment à Brest. Les communards rescapés de la répression sanglante, furent condamnés à la déportation et provisoirement emprisonnés sur des vaisseaux désarmés, mouillant en rade de Brest. Ces vaisseaux, plus communément appelés : pontons, furent au nombre d’une douzaine, car il fallut en juillet 1871, au plus fort des arrivages, par wagons à bestiaux, «loger » jusqu’à 12000 déportés, dans l’attente de leur départ pour l’Algérie ou la Nouvelle-Calédonie. Certains pontons furent prélevés dans la réserve de Landévennec, comme la Ville de Lyon, le Fontenoy, le Breslaw et le Duguay-Trouin. D’autres plus récents furent aménagés en prison flottante, comme le Napoléon, la Ville de Bordeaux, l’Aube, l’Hermione, l’Yonne, la Marne et le Tilsitt. Le Duguay-Trouin avait un passé prestigieux, car il fut le 1er vaisseau à vapeur à doubler le cap Horn. D’autres avaient encore de l’avenir, car ils allaient devenir, comme l’Austerlitz de 1876 à 1894, un bateau-école pour les mousses, ou pour les mêmes servir, sous le nom de la Bretagne, comme la Ville de Bordeaux ou le Fontenoy. Dans les cales du Napoléon croupissaient 1125 déportés et dans celles de la Marne 880. L’excédent de l’internement se faisait au fort de Quélern. L’institutrice Louise Michel, fit un passage dans ces prisons, avant sa déportation pour Nouméa, de même que l’éminent géographe Elisée Reclus.

Il fallut attendre la loi d’amnistie partielle du 3 mars 1879, pour que l’ensemble des déportés ou du moins les survivants puissent espérer un retour au pays. Ces retours s’échelonnèrent jusqu’en 1882. Ainsi quelque 2000 déportés, venant pour la plupart de Nouméa, furent rapatriés via Brest, parfois 10 ans après leur départ. Louise Michel, la passionaria de la Commune devait s’éteindre en 1905, à Marseille, à l’âge de 75 ans sans avoir renié les idéaux de sa jeunesse.

 

Aujourd’hui par temps de brume quand nous contemplons cette rade magnifique, nous pouvons encore dans le flou de nos souvenirs deviner l’ombre de ces pontons qui viennent sans crier garde, hanter notre bonne conscience.

 

Michel BARON