ECHO DE SAINT-PIERRE N° 161 - Mars 2004

Sainte-Anne sous l'occupation

            Je n’étais encore qu’un adolescent lorsque j’ai vécu cette période de guerre, dans un hameau de Sainte Anne du Portzic en juin 1940, avec l’arrivée des troupes allemandes.

            Déjà, en fin mai, des avions de reconnaissance et des bombardiers allemands faisaient leur apparition dans le ciel brestois. Ils visaient principalement le cuirassé Richelieu, mais celui-ci possédait une défense contre avion (D.C.A.) redoutable. Nous devions nous abriter pour nous préserver d’une pluie d’éclats d’obus fusants.

Les Allemands arrivent..

            L’autorité militaire française, consciente de l’arrivée imminente des troupes allemandes à Brest, décida de procéder à des sabotages à l’arsenal et de détruire les stocks de carburants, notamment les cuves à mazout de Kervazé. Elle vint donc prévenir notre famille d’évacuer les lieux, au moins pour une nuit, par précaution. Des milliers de tonnes de carburant partirent en fumée, provoquant un impressionnant nuage noir, irrespirable. Nous nous sommes alors réfugiés dans la famille, du côté nord de la commune. C’est de là, que je me souviens avoir vu une colonne de soldats allemands venant de Kéroual en Guilers, et se dirigeant vers Pont-Cabioch, précédée par un avion de reconnaissance. C’était l’invasion ultra rapide, et cela pour quatre ans. Nous avons pu regagner notre ferme le lendemain en « char à banc », mais en subissant de nombreux contrôles d’identité. Nous n’étions plus chez nous.

Ste-Anne, point stratégique..

            Le quartier de Ste Anne allait devenir un point stratégique pour l’occupant, près du port de guerre, face au goulet

            Deux parcelles de la ferme du Portzic étaient occupées par les premières troupes, se camouflant près des talus couverts de végétation.

            Dans le courant de l’année 1941 c’est un camp militaire qui s’installe, englobant le corps de ferme et le manoir y attenant. Cet ensemble était clôturé par une palissade de barbelés de 3 mètres de haut. Ce site était choisi en raison de sa partie boisée favorable au camouflage. Une sentinelle gardait l’entrée et pour rentrer chez nous, il nous fallait un laisser-passer, et la carte d’identité, que je ne possédais pas encore.

            A l’intérieur de ce camp, des baraquements furent implantés. Ils servaient de logement à des ouvriers de toutes nationalités. Chaque baraque pouvait loger une cinquantaine de travailleurs. Il y avait également de nombreux prisonniers juifs. Tous étaient employés à la construction de la base sous-marine.

Prisonniers… un sort peu enviable...

            Tous les matins, ils partaient au travail par la route du Portzic, sous bonne escorte. Ces pauvres ouvriers ne mangeaient pas toujours à leur faim, et chapardaient nos légumes au jardin, dont les pommes de terre, y compris de semence. Ils dormaient dans des lits de bois à étage, garnis de paillasses dont le contenu se dégradait au fil des nuits. Pour retrouver un peu de confort, de nouveau, ils vidaient les paillasses dans notre cour (bonjour les puces !)  pour la refaire avec de la paille fraîche de la ferme.

            Je me souviens avoir assisté, maintes fois, dans un champ de pâturage, à des séances de parcours sportifs infligés à des prisonniers (même âgés). Cela consistait à courir, se coucher et repartir jusqu’à épuisement. Tous ces ordres étaient donnés sur un ton guttural d’une extrême brutalité. En supplément, ils devaient même assurer les corvées de quartier.

            La vie à la ferme...

 Elle ne pouvait s’écouler harmonieusement. Nous étions souvent inquiets. J’admire mes parents qui ont toujours fait face, avec un certain optimisme à cette situation.

            Quand, en soirée, le camp s’endormait enfin, c’était la ronde des bombardiers anglais, qui venaient troubler le sommeil des  infortunés résidents, ainsi que le nôtre.

            Un soir, le camp fut la cible des avions anglais qui déversèrent leurs  bombes à proximité.

            Était-ce pour cette raison que quelques jours plus tard, nous ne revîmes plus les prisonniers rallier Ste Anne ? Ils furent dirigés vers un autre camp (à Kéroual en Guilers).

            Ouf ! Notre liberté est retrouvée, mais pas pour longtemps, car la construction de blockaus près de chez nous, nous obligea à quitter définitivement Ste-Anne jusqu’à la fin des hostilités.

            Ce village devint ensuite zone interdite aux civils.

Y.Le .Roux