ECHO DE SAINT-PIERRE N° 173 - Mai  2005


LES FOURS A CHAUX

Si nous avions le loisir de nous projeter quelques siècles en arrière, nous comprendrions peut être les problèmes techniques auxquelles les grands bâtisseurs d’autrefois furent confrontés pour réaliser leurs œuvres. Nous serions surpris de constater qu’ils furent dépendants de la qualité de la main d’œuvre existante et de l’approvisionnement en matériaux les plus divers. Les meilleurs ingénieurs, ou architectes qui œuvrèrent dans la région brestoise et au rang desquels nous pouvons citer les Massiac de Sainte-Colombe, Blaise Ollivier, Choquet du Lindu, Frézier, Dajot, Carlet de la Rozière, Tarbé de Vauxclairs, Trouille, Trotté de la Roche, Fauveau, Menu de Mesnil et autre Riou-Kerallet ne purent exprimer leur talent que grâce au travail obscur de nombreux travailleurs spécialisés et à la richesse de la matière première disponible.

Photo : la plage de Maison Blanche au début du 20ème siècle

Si certaines professions nous sont encore familières, comme celle des carriers et des tailleurs de pierres, d’autres forcent notre curiosité au point de s’interroger sur leur utilité. La profession de chaufournier, très répandue du XVII au XIXème siècle correspond à cette interrogation, d’autant qu’elle fut à la base des importants travaux de défense qui se développèrent à Brest durant cette période.

Le chaufournier était un ouvrier qui fabriquait de la chaux, par calcination de la pierre calcaire dans des fours construits à proximité des chantiers. L’île Ronde et l’île Longue étaient alors les seules réserves connues d’où on extrayait cette pierre à chaux. La chaux mélangée avec de l’eau et du sable formait un excellent mortier servant à assembler moellons et pierres de taille.

Autour de la rade de Brest, des fours furent construits à Quélern et à Plougastel. A Brest les emplacements où fonctionnèrent des fours à chaux furent relativement nombreux. Au pied de l’actuel cours Dajot, dans l’anse de Porstrein, il y avait cinq fours, dont l’activité se prolongea jusqu’à la construction du port de commerce, et qui servirent pour le développement des nouveaux quartiers résultant de l’annexion de 1848 et 1861, et pour la construction de l’église Saint-Martin. Sur les hauteurs du Bouguen, 3 fours à chaux fonctionnèrent à la fin du XVIIIème siècle pour réaliser l’extension des remparts. A Kérinou, une petite rue qui porte aujourd’hui le nom de venelle du four à chaux, atteste que cette activité fut florissante en ce lieu. Sur le terroir de Saint-Pierre-Quilbignon, certains écrits font référence à la présence d’un four au Prat-Lédan.

 

Mais le lieu le plus connu de l’implantation de fours, au nombre de trois, est naturellement la Maison Blanche, appelée autrefois anse Garen et plus lointainement encore Porshouarné. Le lait de chaux disponible en ce lieu permettait de peindre facilement les maisons d’une couleur blanche éclatante. Une telle maison bien voyante était un repère pour les pêcheurs de la rade, un amer en quelque sorte.

Ces fours servirent pour la construction de la ceinture défensive de Brest, chère à Carlet de la Rozière, notre Vauban Quilbignonnais. Cette défense comprenait les forts du Portzic, de Montbarey et de Penfeld et les redoutes de Kéranroux et du Questel Bras. Les travaux qui débutèrent fin 1776, devaient durer 10 ans. Chaque four était desservi par 24 chaufourniers, et produisait chaque jour 32 barriques de chaux vive et 45 de chaux éteinte.

Aujourd’hui l’île Ronde qui a failli disparaître sous les piques des carriers, reste avec sa topographie chahutée le témoin d’un temps révolu où les ressources disponibles étaient jugées inépuisables. Souhaitons que le génie inventif de l’homme saura s’adapter avec sagesse à l’évolution des techniques et préserver l’avenir en s’orientant vers un développement durable et maîtrisée des dites ressources.

MICHEL BARON