LES VIEUX METIERS DES RUES VERS 1930
Entendez-vous la marchande de poissons qui monte de la vallée
poussant sa voiture à bras et clamant, bien haut, la diversité et la
qualité de ses produits, l'entendez-vous ? En d'autres moments de la
journée ce sont d'autres passages mais toujours quelque chose.
De bien loin, l'après midi de certains jours d'été particulièrement, ce
doux refrain qui avivait notre gourmandise "A la gui-gui à la
guimauve"... Vous vous rappelez ? Le goût et le parfum de ces bâtonnets
torsadés vous sont-ils restés dans la bouche, leurs couleur dans les
yeux ?...Je le revois encore, le monsieur portait des lunettes noires,
assez rares pour l'époque, poussant sa voiturette à bras à la peinture
blanche si brillante. Un gros chien-loup, impressionnant, y était
attelé, donnant aussi de sa peine pour monter la côte. Et voilà ! Notre
homme s'arrêtait, le chien aussi, tirant la langue. Après quelques
paroles rassurantes qui nous autorisaient à nous approcher un peu plus,
c'était une petite merveille qui se découvrait à nos yeux. Sous une
paroi de verre, rangés dans des cases différentes et dans un ordre
impeccable ils étaient là les bâtonnets, aux couleurs si chatoyantes...
C'était pour quelques sous et la grande bonté de mes parents se
laissait souvent attendrir. Braves parents... Mais au fait, pouvez-vous
m'expliquer pourquoi je choisissais, après quelques hésitations
il est vrai, le vert sombre ou le rouge carmin ou le marron ?...
Connaissez-vous le cri du marchand de pilhou, du rempailleur de
chaises, du marchand d'os, de peaux de lapins ?...Eh oui! Revoyez-vous
encore la chanteuse de rue ? Vous cachez-vous encore pour mieux écouter
son refrain ? Ah ! Combien poignante était sa voix... C'était bien
souvent un message de détresse qui se retrouvait ainsi en mélodie, mais
il y en avait aussi d'autres et la joie brillait alors un peu
plus en nos cœurs d'enfants. Nous ne pouvions rester insensibles. Les
gens finissaient par apparaître aux fenêtres ou sur le pas de leur
porte. Cette femme était peinte par la misère. Il fallait lui acheter
une chanson! disait ma mère. Avec un pâle sourire de remerciement, elle
me tendait alors sa feuille mauve, pour quelques sous... Et puis le
chant reprenait, s’égrenait, disparaissant lentement au tournant de la
route...
Avez-vous goûté la liqueur? revoyez-vous
cette dame tout de noir vêtue portant en bandoulière ce baril ovale
orné d’un petit gobelet? C’est vrai, pas beaucoup de clients si je m’en
rappelle...
Enfin ! Avez-vous vu le montreur
d’ours. La bête, impressionnante, se démenait dans des attitudes qui
nous gardaient prudemment sur le trottoir. Tout cela dans le bruit de
chaînes qui me tinte encore aux oreilles quand il m’arrive de revoir,
en esprit, cette image d’un autre temps...
Avez-vous de la vaisselle brisée? Comme dans tout bon ménage qui se
respecte d’ailleurs. Attendez donc le passage du raccommodeur de
faïence, c’est son travail. Vos couteaux à affûter? Patientez de même,
le jour n’est pas si loin où vous entendrez au tournant du chemin,
couteaux, ciseaux, rasoirs. C’est le cri du rémouleur.
F. Kergonou
L'homme et sa voiturette
tirée par les chiens