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ECHO DE SAINT-PIERRE N° 203 mai 2008

LE  LARDBLAISE

     
"Morceau de lardblaise s’il vous plait !"

        Inutile de chercher la signification dans le dictionnaire vous ne la trouverez pas ! Ces messieurs de l’Académie ne se préoccupent que très rarement des expressions locales, à fortiori de celles qui ont cours dans le petit cercle des Quilbignonnais.
    Pour savoir ce que ce mot signifie, il faut remonter 70 ans en arrière, du temps où Saint-Pierre est encore une commune rurale qui ne compte  pas moins de 130 fermes. Dans chacune, on élève au moins un cochon.

On achète un cochon
    L’acquisition du porcelet se fait au marché du samedi à Saint-Renan. La crèche au cochon est rudimentaire, 6 mètres carrés tout au plus, dans une petite remise. Pendant 5 à 6 mois, le cochon, prénommé Loupic ou Jopic, sera nourri aux pommes de terre mélangées de son et d’orge moulue, ainsi que  des restants de cuisine. Passant le plus clair de son temps assoupi et vautré dans la paille, le cochon, daigne vous saluer de quelques grognements quand vous passez à proximité de sa crèche.     Les voisins viennent le voir et  estiment le poids de viande 110/120 kilos, les avis diffèrent  C’est décidé, l’abattage aura lieu la semaine prochaine .Pas question d’aller à l’abattoir municipal, cela se passe à la ferme et dans chaque quartier il y avait un expert pour ce travail.

On le tue
    Ce jour-là, grande effervescence : on a chauffé de l’eau dans un grand récipient et affûté les couteaux et les grattoirs. Si c’est un jeudi, les enfants ne sont pas loin mais un peu en retrait.
    Après  lui avoir solidement ligoté les quatre pattes, quatre hommes sortent le cochon hors de sa crèche.
.     Le porc pousse des cris puissants et suraigus ; les gamins s’enfuient, les mains sur les oreilles. Un coup de penn–bazh* bien placé assomme l’animal et le silence se fait. On le saigne à la gorge, le sang coulant à flot est recueilli dans une grande bassine à l’aide d’un bâton. Il faut constamment agiter le liquide encore chaud pour éviter la formation de caillots qui nuiraient à la qualité du boudin.
    Le cochon est mort, le calme est revenu et les enfants réapparaissent un à un. Maintenant il faut enlever la soie. On l’arrose d’eau bouillante et les grattoirs vont de l’avant, les parties les plus difficiles à nettoyer sont les pattes et les oreilles.

On le dépèce
    Le porc est ensuite suspendu, tête en bas, à une poutre de la grange. Un seul coup de lame bien affutée suffit au spécialiste  pour ouvrir le ventre de la base du cou à l’entrejambe. Les entrailles sont précieusement recueillies dans plusieurs récipients. Il faut laver les boyaux qui serviront à la confection des boudins et des andouilles (dans le cochon tout est bon). La graisse est fondue pour en faire du saindoux. Le foie est mis de côté, il servira de base au pâté dont la recette diffère d’une maison à l’autre.

On le prépare pour la conservation
    Le lendemain, la chair s’est raffermie et l’on peut découper la viande. On sépare d’abord les jambons, qui seront mis à fumer dans la grande cheminée avec les andouilles puis l’échine appelée lardblaise. Le lard sera découpé en morceaux de tailles différentes, puis frotté au gros sel avant d’être mis au charnier (une grande jarre en terre cuite). Recouvert d’une grosse pierre il baignera dans la saumure. Ce sera une réserve de viande pour plusieurs semaines.
    Pour faire les pâtés, chacun a sa recette : le foie, la gorge, le gras, les échalotes, le persil, tout est broyé dans un moulin. Les pâtés mis au four embaumeront la cuisine quelque temps.
    Les voisins ne sont pas oubliés, eux aussi auront leur rôti et quelques boudins, de cette façon les mois prochains, les autres  familles rendront le même service et on mangera encore de la viande fraîche.

    On doit à Monsieur Blaise, charcutier de son métier, l’idée de ne pas mettre tout le lard au charnier, mais de garder l’échine pour la consommer sous forme de rôti. C’est donc tout naturellement par son patronyme que l’on nomma lardblaise ce qu’aujourd’hui nous appelons moins poétiquement, rôti de porc.
Merci Monsieur Blaise !
Jean Pochart
* Penn-bazh : gourdin en breton

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