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ECHO DE SAINT-PIERRE N° 207 novembre 2008

Jeannie, couturière au Barullu     

    Mes premiers pas, que je situe vers le mois de janvier 1926, se sont portés vers Jeannie, ma voisine, qui se trouvait à sa porte.

    Jeannie, à ma naissance, avait environ 35 ans (née vers 1890). C’était une vieille  demoiselle, couturière de métier, fort connue à Saint-Pierre- Quilbignon pour son sérieux et la qualité de son travail. Elle habitait la maison voisine, avec ses vieux parents, les époux Le Gof. Le père, retraité de l’arsenal, vouait le plus clair de son temps au bricolage, dans la cabane, située dans la cour. Il y passait ses journées, en compagnie de ses trois chats, fabriquant des épingles à linge pour  sa femme, blanchisseuse de métier, toujours en activité malgré son âge avancé.
   
    Mademoiselle Jeannie, pour sa part, était une couturière renommée. Son atelier prenait l’ensemble du rez de chaussée de la maison, sauf couloir ( la partie habitation se situant à l'étage et étant composée de deux pièces ). Il était éclairé par deux fenêtres donnant directement sur le trottoir. A l’intérieur, autour de la grande table en bois blanc, s’activaient les apprenties au nombre de six à huit.  Quelle ambiance ! Au beau temps, tout simplement, je m’asseyais à la fenêtre, participant à leurs chansons. Puis, soudain, une question : « Quelle est ta bonne amie, François ? »…Pris sur le vif, ça me faisait rougir, tant il était vrai que je les trouvais toutes belles. Pour ne pas décevoir je n’avais garde de donner ma préférence, bien sûr !...Alors elles s’esclaffaient entr’elles et moi je m’en allais avec mon secret...

      Les filles riaient et chantaient au travail, comme à la récréation, dans le petit jardin à l’arrière de la maison. Si c’était le printemps les giroflées et les primevères embaumaient de leurs fleurs. Au beau temps, les fenêtres de l’atelier étaient grandes ouvertes, leurs chansons étaient un enchantement pour tout le quartier. Pas de vacances pour la couture, il fallait travailler et apprendre, l’été se passait comme cela…

    Mais, à part la chanson, que faisait-on vraiment dans cet atelier ? Eh bien, je vais vous le dire : les tenues des premières communiantes ainsi que les plus belles robes de mariées de Saint-Pierre. Ajoutez à cela les vestes et les manteaux et autres robes pour les belles dames ainsi que tous les habits pour cette jeunesse qui grandissait trop vite et vous aurez un aperçu très large de tout ce qui pouvait se faire dans ce modeste atelier. Que dire encore?...Que les apprenties, elles-mêmes, devenaient un jour ouvrières. Un genre de rêve se terminait alors, tout comme l’ouvrage en cours, et les filles s’en allaient vers d’autres horizons. Disparue, alors la fiancée en puissance, mais au-delà des nouvelles têtes, restait toujours ce vieux mannequin d’essayage dont le grincement persistait encore à m’effrayer un peu…

    Et puis, que je n’oublie pas de le dire…Un autre motif de visite me portait encore vers l’atelier de couture. Bien humblement, une demande de bobine(s) vide(s). Oui, il y en a, quelle joie, quel sourire de remerciement en pressant le cadeau sur la poitrine, merci Jeannie…
    
Deux utilisations pour ces bobines, deux jeux, d’une part le tricotin qui se fait sur la dextérité des doigts, sous forme de relaxation, la deuxième étant tout simplement la transformation en ce qui s’appelle désormais un tank. Très simple, il faut d’abord crèneler les parties circulaires au couteau. Ajouté à cela un élastique central que l’on torsade avec un petit bâton de bois. Posé au sol le tank-bobine restitue la force enregistrée pour devenir la terreur des soldats de plomb. Voilà !...Vous avez tout compris. …En avant pour la grande offensive !
François Kergonou

* Barullu : la partie haute de la route des Quatre- Pompes, à gauche en descendant.

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