Retour à l'accueil

ECHO DE SAINT-PIERRE N° 224, juin 2010

Le bistrot «Boire un petit coup c’est agréable»

 
    Pour étancher sa soif, avant 1960, pas besoin d’aller loin, on  trouvait un bistrot  à proximité : 200 mètres au plus et bien souvent plus proche, surtout aux Quatre-Moulins ou au bourg de Saint-Pierre. Sur la Rive Droite, il devait en avoir une centaine avec parfois de jolis noms évocateurs comme «Au Repos des Promeneurs» «Le Lapin Blanc» «Le Panier Fleuri» «Au Bon Pinard» «Le Terminus»... On dénombrait 4 marchands de vins : Gloanec, Piron-Potin, Tallet, Corre, sans compter ceux de l’extérieur. Chacun avait son étiquette «Le vin des Pères», «Sénéclauze», «Santa Rosa (l’ami de l’estomac)», «La Bonne Vigne», «La Grappe Fleurie» etc.

    Un lieu de rencontre
    Chaque estaminet avait sa clientèle, qui variait selon les heures. Dès 7h-7h30, les ouvriers s’y arrêtaient, un petit réconfort avant l’embauche. Vers 10h, les retraités faisaient leur apparition par deux ou par trois et s’installaient  au comptoir, toujours à la même place ; l’après- midi ils se retrouvaient autour des jeux de boules ou de cartes ; la «coinche», un dérivé de la belote, était particulièrement prisée. Le soir, les artisans tâcherons se donnaient rendez-vous pour se signaler les chantiers en cours et établir la continuité : «j’ai terminé la toiture, tu peux attaquer les plâtres quand tu voudras».
    Les bistrots étaient un lieu de rencontre où l’on refaisait le monde, toute génération confondue. L’ancien, riche de son expérience, trouvait que les jeunes avaient la vie facile : «de mon temps dans le bâtiment, ce n’était pas comme ça, il fallait trimer même le samedi matin».

Convivial
    Le tenancier ou la tenancière appelait chacun par son prénom : «et pour toi François ? - Comme d’habitude !» Presque tout le monde se connaissait, aussi les bonnes nouvelles et les heureux évènements, naissance, promotion voiture neuve : il fallait arroser ça… Certains soirs, l’ambiance aidant, les esprits étaient surchauffés et le ton des discussions s’élevait de plus en plus. C’est là que la diplomatie du patron pouvait intervenir pour réconcilier le tout.
    Le téléphone, peu de particuliers en disposaient chez eux et le cafetier servait de relais. C’est encore grâce au téléphone, que le dimanche soir, vers 18h, les résultats des équipes de foot régionales étaient communiqués au patron du bistrot : le Stade Q. a gagné, la Légion a fait match nul. Les scores étaient affichés sur un grand tableau accroché au mur et le classement du championnat réactualisé si besoin.

Que buvait-on ?
    On servait du muscadet ou du vin rouge pour les hommes mûrs et de la bière en bouteille pour les plus jeunes (on parlait de «bock» comme on parle de cannette aujourd’hui) ou encore le champagne breton (limonade et rhum). Le dimanche, certains prenaient l’apéritif. Avant l’apparition des anisettes, les vins cuits dominaient (Saint Raphaël, Cap Corse, Dubonnet, Byrrh). L’absinthe et l’eau de Selz avaient été détrônées.

Années 60 : changement

    Vers les années 60, c'est la révolution avec l’arrivée de la bière pression. Les différentes marques se font la guerre pour installer leurs colonnes et essayer d’avoir l’exclusivité de la livraison. Tirer un demi n’est pas à la portée du premier serveur venu : perçage du fût, réglage de la pression, inclinaison du verre et «coupage» de la mousse ne s’improvisent pas.
    Au même moment, les machines à café se généralisent. La multiplication des gros percolateurs italiens amplifie la vente des «petits noirs». Certains représentants se reconvertissent et ajoutent un nouveau produit à leur catalogue. Les cafés Le Pichon occupent une bonne place sur ce  marché. Du coup certains clients prennent leur petit déjeuner (café, croissant) au comptoir avant la reprise du travail.
    L’invention de la machine à laver les verres n’est pas la moindre des révolutions pour les cafetiers. Au revoir à l’éternel torchon sur l’épaule et bonjour les gains de temps et d’hygiène.

    Malgré toutes ces améliorations, plus de 80% des bars ont disparu au grand désarroi de la clientèle. En dehors des bars-tabacs, combien reste-t-il de bistrots ? Pas toujours facile de se donner rendez-vous ! Les lieux de rencontres se font rares et le lien social s’effiloche. Encourageons les derniers bistrotiers pour qu’ils perpétuent la tradition des joyeuses assemblées et
«A la tienne Etienne, à la tienne mon vieux» !
Jean Pochart

Chez le marchand de vin Tallet à Beg-Avel

retour en haut de page