ECHO DE SAINT-PIERRE N° 38 - Décembre 1991

L’INCENDIE DES QUATRE POMPES ET DE LA MAISON BLANCHE
(1)

Avant-Propos : CUVES A MAZOUT :
Ce sont ces immenses réservoirs à combustible, de plusieurs milliers de tonnes chacun, qui , comme de gigantesques pâquerettes, s’étalent sur le plateau des Quatre Pompes. C’était et c’est encore la base de ravitaillement de la Marine Nationale.
POUDRIERE : Ce sont ces bâtiments près de la base des Sous-marins, dont l’un sert encore aujourd’hui aux plongeurs de l’U.S.A.M.. Précédemment, usine désaffectée, c’était, depuis 1875 environ, un entrepôt d’artillerie et de munitions pour la Marine.
Quand on a eu 15 ou 20 ans lors de la seconde guerre mondiale, la jeunesse vous laisse encore dans la bouche comme un goût de cendres ...
Voici racontée, ce que fut, à travers un événement, la fin d’une époque.

L’INCENDIE DES QUATRE POMPES ET DE LA MAISON BLANCHE

C’était en ce mardi 18 juin 1940, en fin d’après-midi... Soldats anglais et marins français, sentant venir des heures encore plus cruelles, avec la venue de l’occupant, descendaient la route des Quatre-Pompes. Je les revois encore, un peu euphoriques, chantant leur détresse, cherchant un dernier courage. Mais où allaient-ils donc avec leur camionnette remplie de bidons, d’essence sans doute ? ... Pas besoin d’attendre longtemps pour le savoir. Ils s'arrêtent pour nous le dire. Ils vont incendier les cuves à mazout, avant l’arrivée des Allemands. La population est invitée à quitter les lieux dans les plus brefs délais. Le feu est imminent, le danger est grand. Il va falloir quitter bien vite nos maisons.

Tous les habitants du quartier sont solidaires, et nous partons donc vers le bourg. Certains se regroupèrent au fort Montbarey ; pour notre cas, ce fut Kéranroux. Je ne saurais vous dire si le fort était déjà plein, toujours est-il que c’est dans le dernier lacet de la route, avant d’aborder la direction de Guilers, que nous pûmes enfin nous arrêter. Ouf ! ... Cet endroit nous semblait sécurisant, à l’abri des grands arbres et du talus assez haut. Nous posâmes nos quelques paquets ou sacs pour attendre que les militaires puissent allumer l’incendie.

Attendre ! ... Je ne saurais vous dire quelles furent nos réflexions, nos impressions. Je n’en ai pas le souvenir, car une seule et même pensée nous habitait. Quand donc pourrait-on rentrer chez nous ? ... Le danger était-il si menaçant ? ... Nous pensions que c’était l’affaire de quelques instants. Tout au plus une heure ou deux. Il en fut tout autrement, et le voile du crépuscule décida mes parents à rentrer chez eux. Pouvait-on, d’ailleurs, abandonner la maison ? ...

Nous revoilà dans route des Quatre-Pompes. La nuit tombe, pour nous recouvrir bientôt de son angoisse. Le souvenir que j’en garde est celui d’une nuit aussi claire que le jour, ou presque, et d’une chaleur intense.

Ma mère faisait le guet derrière les persiennes de la chambre, à l’étage, tandis que, sans dormir, nous nous reposions, mon père et moi, à même le plancher. A la moindre aggravation, nous étions prêts à évacuer, prestement, si besoin était. Au cours de la nuit, des flammes gigantesques, que l’on peut évaluer à deux fois la hauteur du clocher de Saint-Pierre, changèrent à plusieurs reprises de direction.

Le vent était d’Est, ce qui était une chance pour nos quartiers. Mais la brise marine, reprenant parfois son haleine, couchait les hautes flammes vers nos maisons. L’incendie était énorme, la chaleur marquait, chaque fois nos visages. Etait-il vraiment prudent d’avoir réintégré le quartier ?...

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ECHO DE SAINT-PIERRE N° 39 - Janvier 1992

L’INCENDIE DES QUATRE POMPES ET DE LA MAISON BLANCHE (suite)

Le jour se leva enfin... Un écran de feu et de fumée barrait l’horizon au-dessus des Quatre-Pompes et de la Maison Blanche. Tout comme au cours de la nuit, parfois quelques explosions. Peu à peu, cependant, les gens étaient rentrés chez eux depuis l’alerte de la veille. Peu à peu, ils reprenaient leurs habitudes. Malgré le voisinage très inquiétant de ce feu et son immensité, la vie reprenait son cours. Nous étions le mercredi 19 juin...
Un bref rappel pour vous dire que c’est aussi un jour ... assez éprouvant dans nos mémoires. L’arrivée des Allemands ... Leur première colonne de blindés était suivie d’un camion incendie de couleur verte, sa sonnerie d’alarme en fonction. C’était bien trop tard pour lui, le feu embrasait l’horizon.
Combien de temps dura cet incendie ?... Difficile de s’en rappeler d’une manière précise... Des semaines après, les flammèches sortaient encore de la falaise, le long de la côte. A propos ! Qu’en était-il advenu de nos villages côtiers ?...
Me référant à un journal de l’époque, voici tout d’abord le drame de la Maison Blanche, raconté par une mère de famille de 5 enfants : “Pour échapper aux dangers des bombardements aériens, nous avions coutume de nous réfugier dans les abris souterrains, anciens magasins à munitions de la batterie du Portzic, peu éloignés de chez nous. Nous y avions installés des matelas pour y coucher. Dans la nuit de lundi à mardi, nous vîmes, sans que personne nous eût prévenus, des flammes et une épaisse fumée s’échapper des cuves : Mercredi, vers 18 heures, une alerte nous fit nous réfugier dans nos abris. Une première explosion, que nous avons cru d’abord être la chute d’une bombe, éclata. Comme n’entendant plus rien, nous nous apprêtions à sortir, nous vîmes avec effroi que nous étions entourés de flammes. Un torrent de feu coulait sur la route. Une fumée intense rendait l’air irrespirable. La mer elle-même était en feu. L’incendie gagna le bois de sapins devant notre abri, et les arbres, telles de hautes torches, flambaient. Allions-nous mourir asphyxiés ou carbonisés ? Le vent rabattait la fumée sur notre abri. Il fallait fuir. Le visage et les mains noirs de fumée, portant nos enfants, nous nous sommes élancés à travers ce rideau de flammes, et nous avons réussi à le franchir sans trop de dommages. Nous avons couru, croyant être poursuivis par le feu jusqu’à Sainte-Anne. Nous mourions de soif, on nous offrit à boire. Vers 20 heures, nous avons repris la route vers Saint-Pierre Quilbignon, où la mairie nous donna l’hospitalité dans une école... C’est un désastre : Seize maisons au moins ont été détruites à la Maison Blanche, et deux personnes âgées, M. et Mme Marblé (2) ont trouvé la mort. Ils habitaient une maison à un étage. Ils se tenaient à la fenêtre regardant les progrès de l’incendie. M. Marblé était presque impotent, sa femme n’a pas voulu le quitter. Les deux vieillards sont morts carbonisés dans leur maison (3)
Aux Quatre-Pompes, autre drame. A la suite d’une explosion, et comme un torrent de lave, le mazout dévala la vallée, au bas de la Salette, détruisant tout sur son passage. Ce torrent, dégageant une fumée irrespirable, s’engouffra sur la route dont le goudron prit peu, incendiant les bâtiments de la Poudrière, il courut ensuite vers la mer, après avoir détruit toutes les habitations. Ici se joue aussi une tragédie humaine. M. Jean Lescop (2), 56 ans, le gardien, l’héroïque gardien de la Poudrière, avait jugé devoir rester à son poste. Refusant de quitter, sans ordres supérieurs, il a attendu, l’arme à ses côtés. Il a été retrouvé par sa famille, le 21, figé dans son sacrifice. Par prudence, sa femme et son fils avaient quitté les lieux le 18, pour se réfugier à Plourin.
Avant de finir mon récit, ayons une pensée pour ces gens, héros à leur façon, dont le souvenir place encore dans ce qui reste des ruines... Au delà du désastre, conservez néanmoins dans votre esprit, ou dans vos souvenirs, l’image de ce que furent, jadis, ces deux villages côtiers si accueillants.

F. KERGONOU

(1) Souvenirs personnels et archives de Michel Floch (“La dépêche”)
(2) Ces victimes de l’atroce incendie mériteraient amplement de voir perpétuer leur souvenir en les identifiant à de futurs noms de rues, à Saint-Pierre, côté mer de deux plaques sur les lieux de leur sacrifice.
(3) Venant des 4 Pompes, arrivant à la Maison Blanche, c’est le premier pan de mur, à droite, encore tout rougi de l’incendie.