ECHO DE SAINT-PIERRE N° 42 - Avril 1992
LE POLY ENTRE LES DEUX GUERRES
Au début de sa remarquable plaquette consacrée à Saint-Pierre davant 1914, notre doyen Henri Colliot cite en nombre des installations militaires achevant de perdre leur utilité en ce début de siècle : le champ de tir du Polygone, où sélevaient parallèlement, à quelques 800 m de distance, lancienne et la nouvelle butte. Celle-ci, pratiquement intacte, avait été édifiée en remplacement de la première, fort abîmée par les tirs des marins et des coloniaux qui sy entraînaient. Mais depuis la construction du stand de 200 mn à lentrée Est du Polygone, la sécurité générale y avait gagné, certes, mais désormais, ni lune ni lautre butte nétaient plus entretenues, et tout doucement la nature reprenait ses droits : le vaste espace les séparant nétait que gazon vert, piqué de marguerites ou camomilles au parfum violent; ici ou là, quelques bosquets dajonc ou de genêts y ajoutaient leur note sauvage. Et, pour compléter ce tableau idyllique, la bergère dune ferme voisine, y amenait parfois paître ses moutons. Cependant, quelques organisateurs avisés avaient vite compris le parti à tirer de ce plateau idéal ; cest ainsi que sy succédèrent concours et courses hippiques, et même des fêtes daviation (on ne disait pas encore meeting...) dont celle de juillet 1912, animée par des pilotes réputés, est restée dans les annales.
Les footeux de Saint-Pierre; de leur côté, commençaient aussi à pointer leur nez : où trouver mieux, et à meilleur compte, pour leurs ébats dominicaux? Cest ainsi que le Poly vit les premiers shoots et dribbles des sociétaires de la Démocratie de lU.S. Quilbignonnaise, et même de certains Yannicks qui n'hésitaient pas à sy rendre pour en découdre avec les paysans - à leurs dires - de Saint-Pierre!
Toutes ces sympathiques activités devaient malheureusement être interrompues par la tragédie de 1914-18. Et puis, la paix enfin revenue, se posa en urgence le problème de lutilisation optimale des lieux, désormais absolument libérés de toute hypothèque. Cest alors que la Marine Nationale eut lidée den faire un complexe sportif. Entre les buttes, dabord, furent tracés, et parallèlement à elles, 2 grands terrains pouvant servir indifféremment à la pratique du foot ou du rugby. Cest lemplacement actuel des grands magasins, hypermarchés bien connus.
Mais, cest à lEst de la vieille butte que fut entreprise loeuvre la plus importante et, à lépoque, sans doute la plus complète en Bretagne dans la domaine sportif. Au centre, une surface réglementaire grandes dimensions à lusage des footballeurs, gazon de qualité remarquable; tout autour, piste en cendrée de 500 m à 6 couloirs; toutes installations propres à la pratique de lathlétisme (sautoirs, aires de lancers, etc...), grand portique à langle N.E. ; 2 terrains de basket découverts. Il nétait pas encore question de salles ! Enfin, bâtiments vestiaires-douches, et logement du gardien. Tout cet ensemble clôturé, sauf le côté Sud où lon avait érigé une vaste tribune en bois (qui na pas survécu à la période doccupation).
Ce Stade de la Marine était certes bien beau et pratique, mais, il ne pouvait, tant sen faut, suffire aux besoins des innombrables unités embarquées ou à terre. Le sport y faisait de plus en plus dadeptes à lintention desquels sorganisaient de nombreux challenges, championnats descadre ou d'arrondissement, etc...créant une belle émulation. Leffort dinfrastructure se poursuivit donc en direction de lest, dans lalignement du terrain dhonneur; deux nouveaux terrains de foot vinrent sajouter aux précédents, et complétant lensemble, on trouvait enfin le bouquet: ce petit mais coquet Stade des Mousses, si accueillant avec ses pistes et sautoirs camouflés dans la verdure et les arbustes entretenus avec soin. Nos jeunes apprentis-marins de lArmorique et du Trémintin, y montaient chaque jour, depuis le môle des Quatre-Pompes où étaient amarrés leurs antiques vaisseaux. Leur entraînante fanfare les aidait, quelquefois à gravir la rude côte de Kérastel.
De tout ce passé si imposant, que reste-t-il ? La marine sest totalement retirée: beaucoup moins nombreux, ses effectifs ont maintenant à leur disposition dautres installations, à proximité de leurs bâtiments ou casernements. La nouvelle Butte a peut-être gagné en devenant Parc dEole ce quelle a perdu en témoin dune période relativement longue et parfois pittoresque. Qui se souvient de la ruée, non pas vers lor, mais vers le plomb que recélaient ses flancs, aux environs de 1925 ? tout un peuple de marginaux se mit à fouiller ses entrailles pour en extraire les innombrables balles logées par des générations de tireurs... Et chacun de récupérer le plomb, de la faire fondre dans de vieilles poëles à frire, avant de le vendre en barre aux entreprises spécialisées. Quel remue-ménage, quel branle-bas, pour finalement peu de résultat sans doute ! Mais, tous ces feux à flanc de coteau, quel impressionnant spectacle...
La vieille butte na pas résisté à lusure des temps. Seul survit le terrain dhonneur et sa piste, loin de leur splendeur dantan, mais encore très utiles aux scolaires, et même à certains clubs associatifs. On les découvre mieux depuis peu, lenceinte ayant été abattue.
Mais comment imaginer actuellement, dans ce quartier où les activités commerciales et la circulation ont pris daussi considérables proportions que la vie et lanimation entre les années 20 et 40 provenaient essentiellement de la Marine Nationale, et surtout des valeureux sportifs qui en dépendaient ? Il nous faudrait bien dautres pages.
P. Coat