ECHO DE SAINT-PIERRE N° 49 - Décembre 1992

YVES LE ROUX, FERMIER DE SAINTE-ANNE DU PORTZIC
ET SES DEUX GUERRES MONDIALES

Il y a un an disparaissait Yves Le Roux, né à Saint-Pierre Quilbignon en 1892. Il aurait eu cent ans le 1er septembre dernier. Il avait gardé une vivacité d’esprit exceptionnelle, et le groupe “Mémoire de Saint-Pierre” avait eu la chance de s’entretenir avec lui à deux reprises.
Nous avons décidé de vous parler aujourd’hui des conséquences dramatiques qu’eurent, pour lui aussi, les guerres 1914-1918 et 1939-1945.

En 1914, après dix mois de service militaire à Brest dans l’artillerie, il fut envoyé au front, à Maubeuge. Moins d’un mois après la déclaration de guerre, sa garnison se rendit “sans avoir tiré un coup de canon”.
Lui, le fermier de Sainte-Anne du Portzic, travaillera pendant quatre ans dans les usines de la Ruhr : “c’est les vieux bureaucrates qu’on mettait dans les fermes”. Quatre années très dures : “les cochons n’auraient mangé ce qu’on nous donnait”.
Son retour, surtout, sera pénible. Ses parents décédés pendant sa captivité, son frère également mobilisé, le bétail et les chevaux de la ferme avaient dû être vendus : “Je suis arrivé à Brest à minuit. Cela faisait quatre ans que je n’avais pas mis les pieds à Brest. Personne sur la rue. Je ne savais pas où aller. Aller à Sainte-Anne ? Je savais qu’il n’y avait personne. Mes parents étaient morts. Alors, j’ai pensé à un oncle, là-bas à Kergrac’h. Je suis parti là. Ils dormaient bien. Ils ne m’attendaient pas non plus quoi. Ils se sont levés. J’ai été bien accueilli”.
Au printemps de 1919 “quand l’herbe avait poussé”, il racheta des chevaux et remit en exploitation sa ferme du plateau de Sainte-Anne du Portzic.

La seconde guerre mondiale allait, à nouveau le contraindre à quitter sa ferme avec sa femme et ses enfants. Les Allemands avaient installé un camp, en 1941, à proximité de la ferme, comme vous avez pu le lire en février et mars derniers dans cette chronique.
En 1943, tout le secteur de Sainte-Anne fut déclaré “zone interdite”. Voici comment Yves Le Roux nous relatait les faits le 27/11/91 : “Ils avaient fait des blockhaus autour, et quand les blockhaus étaient finis, allez hop! On avait eu un papier : tel jour, vous allez déménager les bêtes, le matériel et tout ce qu’il y avait. Le jour même, on avait fait les derniers chargements, on n’était pas arrivé à cinquante mètres, tout était par terre, rasé”.
Il fallut disperser les bêtes et les affaires, et s’installer jusqu’à la fin de la guerre à Kerguérec en Lambézellec. A la Libération, il revint, sans se décourager, se réinstaller à Sainte-Anne, dans des bâtiments provisoires situés de l’autre côté de la route de la plage. C’est sur ce site que la nouvelle ferme fut construite. Il avait fallu, entre-temps, refaire le troupeau, ramener les chevaux dispersés, puis réquisitionnés par les Allemands. Les champs étaient parsemés de blockhaus, creusés de tranchées et de trous de bombes, minés parfois.

Yves Le Roux continua à travailler dans cette ferme jusqu’à l’âge de 78 ans, c’est-à-dire jusqu’en 1970.