ECHO DE SAINT-PIERRE N° 50 - Janvier 1993

VICTOR EUSEN

Un nom... Une rue... Une plaque apposée à l’angle de la Maison de Quartier qui fut, autrefois la Mairie de Saint-Pierre Quilbignon. Il est vrai que, comme tant d’autres, cette plaque aurait gagné à être plus détaillée. C’est d’ailleurs le voeu que nous formulons à “Mémoire de Saint-Pierre”. La population porte, en effet, un intérêt grandissant à son histoire, et désire mieux connaître... Victor Eusen, qui était-il ? ...

Un homme hors du commun.... Né en 1889 à Recouvrance, puis orphelin de père, il se prépara à la carrière d’instituteur. C’est de ce poste, à l’Aber-Wrach, qu’il dut partir pour la guerre 1914-1918... Quelques années auparavant, il avait épousé la fille de Mme Deudé, célèbre commerçante du bourg, dont les anciens conservent encore l’image, et la coiffe, dans leurs souvenirs. Hélas, le jeune femme mourait en 1914, laissant une fille, Marie-Louise... Victor Eusen était pour sa part prisonnier en Allemagne. Il y resta 52 mois. Revenu de la guerre, il entra aux contributions indirectes...

Son remariage avec Mme Vve Alexandre Cozian, en 1919, allait changer sa vie. Sa nouvelle épouse, veuve depuis 1915, tenait la boucherie au 33 de la rue, si bien nommée aujourd'hui. M. Victor Eusen devint boucher. Certes, ce ne fut pas sans difficultés, et, au début, ça n’allait pas très bien. Il fallait apprendre, détailler, choisir et acheter les bêtes dans les fermes et dans les foires... N’empêche que, très vite, il fut élu par ses pairs, président du syndicat de la boucherie à Brest.

Et la famille dans tout cela ? ... Mme Vve Alexandre Cozian avait elle-même deux filles, Germaine et Anne, qui venaient s’ajouter à Marie-Louise. Le nouveau foyer était donc riche de trois enfants. Aucune difficulté pour les deux premières de reconnaître leur nouveau père. Il était tellement affable... Papa, un mot qui vient du coeur. Tout le monde rêvait d’un petit frère. Celui-ci vint en 1920, c’était Yves que tant d’entre nous ont connu dans son rôle de médecin si estimé.

Le commerce marchait bien. Il y avait même deux garçons bouchers qui prenaient leurs repas à la table familiale. Le premier des commis était, à plein temps, dans son rôle, tandis que le deuxième, surnommé “bout de suif” s’occupait d’abord, et surtout, de la fabrication des chandelles à partir de la graisse d’abattage. Tout aurait pu en rester là... Mais voilà, Victor Eusen se trouvait sur la liste municipale qui fut élue le 30 Novembre 1919...C’est dix ans plus tard, en 1929, qu’il accéda aux responsabilités de Maire. Ce fut dès lors, pour notre commune, la réalisation de grands travaux d'électrification et d’adduction d’eau. Les grands projets de voirie n’eurent pas le temps de voir le jour.

Heureuse commune que celle de Saint-Pierre Quilbignon, son Maire avait une force et un optimisme qui s’ajoutaient à sa gentillesse et sa disponibilité. Il s’occupait personnellement de chaque dossier, très aidé dans sa tâche par ses amis conseillers, et une administration efficace. Il était d’une grande bonté pour les pauvres... Adulé par son personnel, et par la population, les projets fleurissaient dans tous les domaines. D’un tempérament très sportif, mais n’ayant pas le temps de la pratique, il prévoyait même la construction d’un vélodrome dans l’actuelle rue de la Résistance. Mais la boucherie le voyait de moins en moins, et son épouse trouvait qu’il prenait vraiment trop de responsabilités. C'est lui qui accueillera le Président de la République, M. Albert Lebrun, le 30 mai 1936 lors de l’inauguration de l’Ecole Navale.

Le 14 juillet, le Maire s’adressait à ses administrés du balcon de la Mairie. La veille au soir, la retraite aux flambeaux préludait aux festivités en s’en allant de la place du bourg, du champ de bataille, vers les Quatre-Moulins. Le cortège était précédé d’une fanfare militaire, suivie notamment du char des blanchisseuses gesticulant autour de leur linge à sécher... Bien trouvé non ? Face au domicile du Maire, la musique s’arrêtait, le temps d’une aubade, tandis que Victor Eusen et sa famille apparaissaient aux fenêtres, souriants et heureux...

Sourires éphémères hélas ! La guerre arriva et notre Maire, comme tout citoyen, fut mobilisé, pour son cas, dans le Nord de la France. Les tristes événements le ramenèrent ensuite au pays.

La dimension de notre Maire aida la ville à mieux vivre les années douloureuses de la guerre. Victor Eusen qui parlait couramment l’allemand, tout comme l’anglais, savait se faire entendre avec autorité. Cela lui valut d’ailleurs d’être emprisonné à Fresnes le 7 Février 1942, en compagnie de M. Albert Bossard, durant un mois. Ils en revinrent tous les deux après avoir frôlé la mort de près.

Le 6 août 1944, accompagné de MM. Kervern et Kéraudy, autres maires de l’agglomération et de M. le Chanoine Courtet, il tente de convaincre de commandant de la place de Brest de déclarer celle-ci ville ouverte. Rien n’y fit.

Le siège de Brest dura 42 jours pendant lesquels Victor Eusen et ses amis se dépensèrent sans compter. Une ultime démarche, le 28 août, pour essayer d’amener les belligérants à épargner la ville, échoua de nouveau.

C’est à une dizaine de jours de la fin des combats, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944, à 2 h du matin, que notre Maire périra dans l’abri Sadi-Carnot, ainsi que 392 de nos concitoyens, victimes du devoir. De nombreux soldats allemands moururent également au cours de ce sinistre.

Durant le siège, la nouvelle maison du Maire, place du bourg, fut volontairement incendiée par l’occupant...

F. KERGONOU