ECHO DE SAINT-PIERRE N° 54 - MAI 1993

UNE FORET SOUS-MARINE A SAINTE-ANNE

La plage de Sainte-Anne, bien connue des anciens Brestois, et spécialement ceux de la Rive Droite, était le lieu où, pendant les beaux jours, les Quilbignonnais aimaient se retrouver.
Mais, actuellement, cette plage n’est plus celle que nous avons connue. Sable fin dans la partie Est, rochers à l’ombre de la falaise à l’Ouest, là ou se profile maintenant la digue de l’IFREMER. Mais, curieusement, cette plage a souvent changé d’aspect. C’est dans le “Finistère Pittoresque” de G. Toscer, dont les descendants habitent Saint-Pierre, que nous lisons que M.C. Delavaud, en 1858, découvrit dans l’anse de Sainte-Anne les traces d’une forêt sous-marine:
“L’anse de Sainte-Anne, que l’on rencontre à l’entrée du goulet, est située entre deux pointes, formées de falaises élevées. Les dimensions de l’anse de Sainte-Anne sont d’un demi-kilomètre entre les deux points, ainsi qu’en profondeur à l’intérieur des terres. La grève est en pente douce et couverte d’un sable fin, plusieurs sources la parcourent et viennent se jeter à la mer.
C’est sur cette grève que l’on voit, disséminés presqu’à fleur de terre, des troncs d’arbres, dont quelques-uns sont réduits par la pourriture humide à l’état d’un terreau semblable à de l’argile. Toutefois, on les trouve principalement rassemblés vers le milieu de la grève où ils forment une bande parcourue par une des sources mentionnées plus haut, et qui sans doute n’a fait que les mettre à nu à cet endroit. On voit cette bande se continuer dans la mer à l’époque des plus basses marées.
On peut déjà reconnaître, sans qu’il soit nécessaire de fouiller le sol, les espèces d’arbres auxquelles ils appartiennent. Le chêne a pris seulement une couleur noirâtre en conservant sa dureté. Le bouleau se fait remarquer par son écorce blanche et brillante, et semble déposé là depuis un petit nombre d’années; le tissu ligneux de couleur rouge d’une autre espèce, doit la faire attribuer à l’if, d’après M. de la Fruglaye.
Des noisetiers, des saules, des aulnes doivent s’y trouver aussi, mais il sont plus difficilement reconnaissables. Tous ces arbres ont été signalés dans les tourbières et dans les forêts sous-marines de France et d’Angleterre. Les forêts sous-marines sont une preuve manifeste des chargements que subissent les côtes dans leur configuration et de celui des niveaux relatifs de la terre et de la mer. Si celle-ci empiète alors, ce n’est pas parce la masse des eaux augmente comme on l’avait admis autrefois, de même aussi que les eaux ne diminuent pas là où la mer se retire. L’élément mobile conserve son éternel niveau, la terre ferme seule, éprouve des oscillations.
On sait qu’en Suède, elle se soulève lentement dans une certaine étendue, tandis que près de là, sur les côtes de Scanie, elle subit un mouvement inverse de dépression. Ces dépressions ont été reconnues sur des étendues considérables de côtes en plusieurs contrées et la Bretagne paraît être de ce monde. Partout, sur ces côtes déchiquetées, la mer envahit sans cesse le littoral; des traditions assez récentes, semblent confirmer ce fait, et il n’est pas nécessaire pour cela de remonter au Vème siècle, et de recourir à l’histoire peut- être véritable de la ville d’Is, engloutie dans la baie de Douarnenez. Si des catastrophes de ce genre n’ont laissé souvent dans plusieurs pays que de fabuleux souvenirs, si elles ont pu même passer inaperçues, comment à plus forte raison n’en serait-il pas ainsi pour les phénomènes lents et graduels ?”.

F.L.